Sur le chemin du retour
Les blessures de l’avortement
Née en 1973, de l’âge de 21 ans à celui de 25 ans, j’ai été amenée à vivre en Afrique plusieurs avortements clandestins. Aujourd’hui, après 17 ans, j’ai choisi de partager ce vécu afin de témoigner des merveilleux cadeaux que nous offre la vie à travers les différentes expériences douloureuses que nous pouvons être amenés à vivre.
L’insupportable souffrance, l’indicible douleur
“… j’entendais le bruit d’instruments métalliques qui s’entrechoquaient. Il les introduisit en moi. Cela me brûlait affreusement, me déchirait. Une sensation très désagréable et à la limite de ce que je pouvais supporter s’invita aussitôt. Je serrais les dents, crispais mes doigts et recroquevillais mes orteils. Tout mon ventre criait sa douleur. La sueur perlait sur mon front …”
Lorsque je suis arrivée en Suisse en 1997 pour un stage dans le domaine de la petite enfance, c’était la première fois que je quittais vraiment mes parents. Le fait de me retrouver en Suisse, loin de ma terre d’origine, m’a permis de prendre progressivement conscience de l’état émotionnel dans lequel je me trouvais. Les différents évènements, qui avaient jalonné mon enfance et mon adolescence, m’avaient amenée à me mettre dans un état de survie permanent, me coupant de toute réalité. Cela faisait à peine une année que j’avais vécu ces différentes interruptions de grossesses dans le plus grand secret.
Sujette à un mal-être évident, j’étais à fleur de peau et habitée par une peur effroyable de me confronter au monde. Et pourtant, mon désir de passer à la vie a été si fort que je démarrai une psychothérapie. Je choisis également des formations et un parcours professionnel qui m’obligeaient à me confronter à mes peurs les plus grandes. Je devins aide familiale, professeur d’aérobic et fitness, masseuse, … autant de professions qui m’invitaient à m’ouvrir au monde, à me remettre continuellement en question, à prendre conscience des différentes croyances sur lesquelles je m’étais bâtie.
Ce n’est qu’une dizaine d’années plus tard, il y a 3 ans, que je commençai mon récit autobiographique. C’est une série d’évènements, de rencontres, d’explorations, de remises en question, qui m’ont permis, et me permettent encore, de cheminer sur ce chemin de guérison qui n’est rien d’autre que l’apprentissage d’un lâcher prise pour accepter la vie, oser la laisser librement couleur en moi telle qu’elle est: être la vie.
S’anesthésier, survivre
“… J’aimerais tant que cela soit juste un cauchemar. Je vais me réveiller d’une minute à l’autre. C’est un mauvais film. Je vais sûrement pouvoir l’arrêter avec ma télécommande. Une seule pression sur la touche off…”
Lorsque nous résistons à la vie telle qu’elle se présente à nous pour une raison ou pour une autre et que nous ne pouvons accepter sans jugements les moments de souffrance tels qu’ils sont, ces derniers s’amplifient et prennent toute la place dans notre esprit et dans notre corps.
Dans l’instant, je souhaitais que tout se termine au plus vite. Je souhaitais tant sortir de ce cauchemar que je m’efforçais de ne plus rien ressentir au fond de moi. Des années après, ce sont ces murs bâtis pour survivre qu’il m’a fallu apprendre à accepter, à remercier, à pardonner et à aimer pour qu’ils s’adoucissent et se dissolvent.
L’impression d’avoir pu enfouir tout à l’intérieur de moi. Tourner rapidement la page. Tout n’était qu’illusion. Mon être continuait de respirer ce qu’il avait vécu de manière sournoise, à travers ma façon d’avoir de la peine à être en accord avec moi, avec le monde qui m’entourait.
Prendre conscience, accepter
“… plus les années passaient et plus je me rendais compte à quel point je me sentais coupable, sale, salie. A quel point je ne m’étais pas pardonnée. A quel point je me punissais jour après jour d’avoir agi ainsi et d’être en vie. Je tentais d’oublier. Eviter de me souvenir. En vain.”
Une fois qu’un évènement douloureux a eu lieu, le mental s’emballe et génère culpabilités, peurs, regrets, jugements encore et encore au point de se rendre malade. Au point de se haïr soi-même et de se tuer à petit feu de toutes les manières possibles.
Dans les différentes thérapies (gelstat, gestion des émotions, chamanisme, psychothérapie humaniste…) que j’ai entreprises, et les formations dans les domaines du social, j’ai pu reconnaître et exprimer progressivement les différentes émotions restées gelées en moi. D’une certaine façon j’avais suspendu le temps à l’intérieur de moi. Tous ces instants où je n’avais pas eu la possibilité d’accueillir librement l’expression de ce qui se manifestait.
Je prenais conscience à quel point ces évènements avaient porté atteinte à la valeur que je pouvais avoir de moi. Je me sentais coupable, honteuse. Je réalisais à quel point je me punissais d’être en vie. Je me refusais l’amour et l’abondance.
Ce qui accentuait mes ressentis, c’était le côté secret et clandestin qui entourait toutes ces interventions. En écrivant mon récit, j’ai découvert que près de 200’000 femmes décèdent au Sénégal chaque année des suites d’une interruption de grossesse réalisée dans des conditions clandestines. Non médicales. J’étais donc quelque part une rescapée.
Il y avait aussi pour moi ce sentiment d’impuissance que je ressentais car, vu le contexte de vie dans lequel j’étais, je n’avais pas le sentiment d’être en train de décider librement de ces situations. Et pourtant, ces évènements n’étaient que la suite d’autres évènements qui avaient pris naissance dans l’histoire de mes parents, de leurs parents. Au moment de ma conception, de ma naissance.
Rien, absolument rien, n’arrive par hasard et tout a un sens même s’il est difficile de le saisir dans l’instant. Et pour moi, le sens de toutes ces choses, quelles qu’elles soient, est de nous ramener au sens de la vie.
Peinture, danse, chant, sculpture, la créativité comme outil de guérison
L’acte de créer permet d’être en mouvement, en transformation. De pouvoir exprimer ce qui nous habite, quel qu’il soit, ombre et lumière.
Continuer de créer malgré les difficultés qui peuvent jalonner notre route ouvre des portes vers d’infinies possibilités pour pouvoir s’en sortir.
Les différents domaines artistiques que j’explore ont énormément contribué à me nourrir et à me stimuler sur mon chemin de guérison. Me permettant d’extérioriser tout un univers intérieur et instinctif qui avait à se manifester.
La sortie en même temps que le livre d’un CD de musiques et de chants intuitifs que j’ai intitulé “Se Déployer” est pour moi une manière de faire vibrer tous les enseignements reçus.
Osez chanter les souffles de vie qui me traversent.
Trouver un sens
“Les différents avortements que j’ai vécus font partie des évènements les plus douloureux que j’ai pu expérimenter jusqu’à présent et en même temps de ceux qui m’ont tellement appris. Ils m’ont permis de mener une réflexion profonde sur ma manière de vivre, sur ma façon de m’aimer, d’accueillir la vie en moi et autour de moi.”
Trouver un sens à tout cela. Au fur et à mesure que j’avançais comme un puzzle, le sens que je pouvais donner à cela se dessinait. L’enseignement, que la vie m’offrait, à travers ce vécu, se révélait à moi, en moi. Après que j’eus versé tant et tant de larmes, je constatais que la vie continuait de suivre son cours.
Lâcher prise, accepter. Jour après jour, c’est comme si je pouvais revenir à la vie, retrouver mes sensations. Un accouchement qui explose toutes les frontières en soi. Un accouchement qui fait tellement peur car il fait perdre tout repère. Tout semblant de certitude.
Ces évènements m’ont offert un merveilleux cadeau, celui de prendre conscience que, derrière le vide que je ressentais lorsque je m’approchais de ma souffrance, il y avait la vie.
Les évènements que nous traversons et qui génèrent de la souffrance, sont à mon sens là pour nous faire prendre conscience de ce qui nous limite, des croyances et des schémas qui nous emprisonnent, des facettes en nous qui demandent encore guérison. D’ailleurs, il est intéressant de voir quelles sont les facettes en nous qui créent notre malheur. Afin de pendre conscience de ce qu’elles veulent nous dire. Afin d’apprendre à entendre leur appel au secours. Afin de les guérir et de les aimer.
En ce sens, je peux dire que la vie est guérison, la vie est notre amie. Je trouve que la nature nous enseigne, par ce qu’elle est, à accepter la vie telle qu’elle est. Les saisons se succèdent. Les jours d’orage, les jours de soleil. La nature naît, meurt, se transforme… Accepter que la vie soit faite de mille et une couleurs. De mille et une nuances. Accepter que ce soit aussi ce que nous sommes, puisque nous sommes la vie.
Toute l’aventure est là! Accepter cette réalité car, en tant qu’énergie, tout passe et revient encore et encore dans un mouvement perpétuel. Il n’y a rien à l’extérieur de nous qui ne soit en dedans de nous.
Accoucher de la vie, devenir la vie
Trois années pour accoucher de ce récit. 16 ans depuis que ces différents évènements ont lieu dans ma vie. Un temps qui s’est avéré nécessaire pour sortir d’une position de victime : devenir seule responsable de ce qui m’arrivait, m’engager sur un chemin d’éveil et par là même de guérison.
Comme un diamant, toutes ces expériences révèlent leurs facettes, jour après jour suivant l’orientation de la lumière. Suivant les différentes situations vécues au quotidien.
Sur ce chemin de vie, comme il est beau de pouvoir danser avec le cosmos. De pouvoir voir la vie comme un oracle. De recevoir ses présents jour après jour. Comme il est bon d’être la vie!
Article paru dans la revue “Recto-Verseau” de Décembre 2013